vendredi 5 avril 2024

Plage de Berck


  "Plage de Berck" est un poème inédit écrit en 2022 d'après un tableau de Ludovic-Napoléon Lepic peint en 1877. Une première lecture de ce poème a été présentée le 25 novembre 2022 au Palais des Beaux-Arts de Lille, face au tableau. 

 J'ai donné une deuxième lecture publique de "Plage de Berck" le 22 mars 2024 dans la salle Georges-Conchon à Clermont-Ferrand  à l'invitation de la 37ème Semaine de la Poésie. Ci-dessous, la vidéo de ma lecture (17 mn). 




La Plage de Berck

 

vaste étendue de sable mêlé de coquillages -  sur le rivage

un homme assis sur un pliant dessine le ciel qui

commence à s’assombrir

 

silence profond - quelques ronds concentriques troublent la surface des eaux -

les gouttes de pluie deviennent vite un déluge - l’artiste court -

trempé jusqu’aux os

 

des nuées d’orage roulent - masse sombre au-dessus du flot furieux -

le vent commence à siffler sous un ciel de plomb -

strié de noir

 

l’eau bouillonne entre les bancs de sable peuplés de phoques -

sur la plage - un reste de château-fort devient plus petit -

à chaque bourrasque

 

énormité des vagues - plumets d’écume blanche jaillissant de la jetée -

la pluie diminue - le temps s’éclaire - le vent reste violent -

tout est bouleversé

 

en surface - les vagues agitent les débris - galettes de goudron -

plaques de polystyrène - planches rabotées - sachets plastique - bidons - bouteilles vides -

foire aux détritus

 

ces épaves échoueront sur la plage ou rejoindront au cœur

de l’océan - le nouveau continent fondé sur un socle d'ordures

émergeant de l’eau

 

les créatures marines opéreront le tri sélectif dans les éléments

nutritifs - nouveaux maillons de la chaîne alimentaire - un recyclage écologique -

un développement durable

 

accompagnées par les cris des oiseaux marins - les âmes nomades

des noyés - venus du sud ou de l’orient - cheminent au-dessus

des vagues septentrionales

 

tout comme au commencement - l’esprit plane sur les eaux polluées -

le paradis occidental fantasmé demeure inabordable - qr code et cadenas-

au jardin d’Éden

 

***

 


 

Sylvia Plath prend des photos mouvantes - un jeu du soleil

avec les ombres - elle absorbe les images - enregistre le flux

splendide ou nostalgique

 

de ses visions - elle se sent paisible hors du cadre -

derrière son appareil photo - c’est elle qui définit le monde -

elle se déplace

 

pour capturer le rempart des bouchots plantés sur la grève -

sous le ciel de la côte d’opale - étonnantes formes enchevêtrées -

noires et moussues

 

seul mouvement - le sillage d’un bateau de pêche au loin -

sur la mer grise et calme - l’étrave la fend comme

une étoffe soyeuse

 

l’eau monte et baisse comme le soleil et les bateaux -

dans l'estuaire fangeux de l’Authie - odeur de fucus en putréfaction -

fourche à fumier

 

suivi par les goélands - un cheval traîne un tombereau d’algues -

un petit homme en cuissardes vertes avance dans une bâche -

flic flac floc

 

les vacances - foules de touristes agglutinés - en paquets - en grappes -

tous en même temps - dans les mêmes endroits - automobiles partout -

monde en folie

 

à l’automne - on en voit - pataugeant en bottes de caoutchouc -

dans la mer étale ou les champs boueux - glaneurs ramassant

crevettes ou patates -

 

***

 


 

Sylvia Plath aimerait se baigner - mais attention au courant d’arrachement -

danger - l’an passé - elle a bien failli se noyer - danger -

à marée descendante-

 

les avertissements étaient pour les autres - elle imaginait un bateau

la sauvant - mais elle sait que son corps n’aurait jamais

flotté jusqu’à Boston -

 

quelqu’un est mort - mort à voix basse - à marée basse -

quelques minutes de silence - dans ses poches détrempées - deux photos -

papa et maman -

 

sur le rivage - une silhouette féminine se découpe à contre-jour -

le peintre remballe son matériel - trois chiens trottinent en silence

sur le brise-lame

 

***

 


 

le capitaine d’aujourd’hui n’utilise ni sextant ni boule de cristal -

connexion au gps - au site de la météo marine - constellations

mises en ligne

 

l’avant du bateau poussé par les diesels monte et redescend -

traçant son sillon dans les creux entre les vagues déferlantes -

soc de charrue.

 

la flottille des bateaux de pêche progresse dans la brume -

silhouettes spectrales réduites à des éclats lumineux - intermittentes virgules vertes -

sur l’écran radar -

 

la longue caravane chaotique des icebergs détachés de la banquise

dérive vers la mer du nord - la manche - l’océan atlantique -

cubes de glace -

 

dans le bleu adorable - glacial et immaculé - la bise souffle -

une rafale soulève sable et débris de coquillages - elle crache -

crache au visage

 

la plage abandonnée s'allonge à l’infini - s’étire sous la nuée -

des phylactères de sable jaune filent parallèlement aux rouleaux d’écume -

paroles du vent -

 

sur la laisse de mer - chaque morceau de bois flotté -  

branche - palette ou planchette - chevron ou bastaing - caisse ou cageot -

raconte une histoire -

 

l’ourse polaire étale sa couverture blanche sous la voie lactée -

un voilier longe la côte le skipper contemple les étoiles -

le baudrier d’Orion -

 

les nuages se transforment en fumerolles rosées dans l’eau stagnante

des bâches - taches virtuelles glissant les unes sur les autres -

Berck bathing beauties -

 

sur d’autres plages - on attend sans mot dire - les mains

nouées dans le dos - les canots pneumatiques arrivant le soir -

dans le noir -

 

***

 

Sylvia Plath ouvre grand la fenêtre pour sentir le vent

se glisser dans ses cheveux dénoués - caresse de l’air marin -

parfum de l’océan

 

long chemin vers la plage - la crique de sable blanc -

la mer - le sable sous ses pieds - son regard perdu -

dans l’éternité grise -

 

prendre le large - marcher entre les dunes - loin des regards -

dans sa robe blanche et bleue - immensité de la plage -

camaïeu de beige -

 

un troupeau de cumulus piaffe dans les flaques d’eau -

ralenti de cinéma - ombres et lumières passant sur les oyats -

bout du monde -

 

***

 

sur la digue - avec une craie du crétacé - les filles

ont soigneusement tracé une marelle blanche - terre ciel bois goudron -

les quatre éléments -

 

le palet - poussé du pied - traverse les cases - le vent

d’ouest fait claquer le linge sur la corde - les robes

à volants virevoltent -

 

les enfants s’égosillent - penchée en avant - et son déséquilibre compensé

en levant une jambe - petite Sylvia vise la septième case -

saute et saute -

 

bravo - la voie est libre - la porte dans les nuages

va s’ouvrir pour accueillir la fillette - just behind the rainbow -

paradis des mouettes -

 

demoiselle - au prochain palet - au prochain lancer - au prochain pas

chassé - saute - tu iras au ciel - passe passe petite passe

la dernière restera -

 

marelle effacée - numéros délayés dans la pluie - dans le temps -

Sylvia a grandi - épousé un poète à Londres - est revenue -

puis a disparu

 

le plaisant écho des souliers vernis résonant sur le macadam

de l’esplanade - a évolué en ondes minuscules - inaudibles - s’aplanissant - s’éloignant -

dans le temps -

 

***

 

ligne de bécasseaux parallèle à la côte - avançant et reculant -

un chien aboie dans leur direction - le bruit des vagues

est plus fort -

 

un cerf-volant jaune doré se reflète dans les yeux noirs

d’un garçon - cerf-volant planant entre moutons d’écume et merveilleux nuages -

blanc et blanc

 

marée basse - vers les rouleaux lointains - torse et pieds nus -

en short noir - le garçon court sur le sable compact -

crevassé de ripple-marks -

 

ses pieds claquent sur le sol dur - la brise effleure

ses épaules - il cisaille les flaques - soulevant des gerbes d’étincelles

luisantes et colorées -

 

le soleil couchant et un sourire angélique éclairent son visage -

il accélère en approchant la mer - y pénètre en levant

haut les genoux -

 

cœur cognant - le garçon tombe sur le ventre - mains levées -

il brasse l’eau - puis se retourne - la mer le berce -

la mer l’apaise -

 

***

 

promenade - de Berck à Merlimont et retour par la plage -

l’artiste a loué une chambre à l’hôtel Bellevue sur l’esplanade -

phoques à l’horizon -

 

Sylvia Plath caressait l’idée de s'embarquer pour la pêche - mais

sans autorisation du préfet maritime - aucun capitaine n’a voulu d’elle -

femme - poète – déprimée -

 

crabe mort dans une coque - noyés ensemble - appel de détresse -

s.o.s - fosse commune - fosse sous-marine - oceano nox - le soleil disparaît -

lui aussi – englouti -

 

tout comme Vénus - la pluie naît de la mer - tombe

sur la terre - s’infiltre en elle - pour rejaillir en source -

et tout recommence -

Lucien Suel

La Tiremande, octobre 2022


 

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jeudi 29 février 2024

Voix Vives à Sète - Entretien et lecture publique

Anthologie audiovisuelle des poètes vivants (propos & poèmes) par Reha Yünlüel


 

Cette vidéo est une création de Reha Yünlüel en deux parties : une interview de 30 minutes suivie de ma lecture-performance sur le Parvis des Halles, lors du Festival de poésie Voix Vives à Sète (21-29 Juillet 2023).

Pendant cette lecture, j'utilise des extraits de mon texte-manifeste "Devenir le poème" en alternance avec des poèmes plus "percutants" (poésie sonore et performance) dont voici la liste : 

1 Mon stylo 4 couleurs du Pas-de-Calais,
2 Pour Janis Joplin,
3 Souffler dans le ciel taper dans la terre,
4 Orage approchant,
5 Ossuaire,
6 Poème ou papou,
7 Fraxinus excelsior,
8 Défense de la forme interro-négative, 
9 Patismit (en picard)

 

 

 

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vendredi 26 janvier 2024

Daniel Fano - Papier pelure

          Vient de paraître

Daniel Fano, Papier pelure 1969-1999, Flammarion, janvier 2024

280 pages, 22€

Daniel Fano (1947-2019) a été publié dans Star Screwer en 1978.
Nous nous sommes retrouvés et rencontrés  dans les années 2000. Trois ensembles de ses poèmes ont été publiés en feuilleton sur ce blog : Retour à la case départ     Ana plus ana     Quelques Figures de l'égarement

"Papier pelure" présente des poèmes inédits et trois recueils réédités (Souvenirs of you, Chocolat bleu-pâle, La Nostalgie du classique) de la période 1969-1999. Ce livre, édité par Yves di Manno et préfacé par Philippe Mikriammos, représente pour moi une merveilleuse et magnifique surprise. C'est presque comme si Daniel revenait du séjour des morts. J'étais tellement triste quand j'ai reçu l'annonce de son décès. Nous étions proches par les goûts, les idées et notre "histoire" littéraire. 

Je n'oublierai jamais notre rencontre d'avril 2010 à La Tiremande en compagnie de notre ami Didier Lesaffre qui le véhiculait pour le projet de road trip d'Arras à Boulogne sur Mer, qui devait déboucher sur l'écriture et l'édition de son roman La Contrepartie (ou L'homme qui voulait tuer Françoise Hardy).

L.Suel

Ci-dessous, un court extrait de Papier pelure

La cerise de Ronsard

[…]

C’est à sa fine moustache

d’expert-comptable, à son costume

rayé, ses chaussettes à pois et

sa cravate violine que l’on

reconnaît

le poète véritable

 

page 228

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jeudi 25 janvier 2024

Kerouac en français

Livre des esquisses

 "Refermer la traversée hallucinée et intime de l’Amérique pendant deux ans de la vie de Kerouac, vivre avec lui, entendre sa parole, se sentir proche de sa foi, de ses doutes aussi. 

 Folle traduction vibrante et vivante de Lucien Suel, on croirait lire Kerouac écrivant en français."

Pierre et l'aube (Pierre Comandu)

La Table Ronde, « la petite vermillon », traduction de Lucien Suel, 384 p., 9,20 €, février 2022. 

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mercredi 20 décembre 2023

Programme en 2024

 Station Underground d’Emerveillement Littéraire / Lucien Suel / Mini-Bulletin n° 18 décembre 2023

L’évènement de cette fin d’année reste la parution en librairie du "Livre des poèmes express", aux éditions Dernier Télégramme

504 pages au format 27 x 20,5 cm, broché, prix de vente au public (TTC) : 35.00€.

Voir des photos du livre au Silo, lire en même temps les premières chroniques par Matthieu Jung, Claro, Fabrice Thumerel (Libr-critique), Guillaume Contré (Matricule des anges), Dinodante… et écouter Edito-Culture, « Une nouvelle manière d’écrire des poèmes » par Arnaud Viviant sur France-Inter

 

En 2024

 

En mars 2024, je suis invité à la 37ème Semaine de la Poésie à Clermont-Ferrand, du 16 au 23 mars. Une lecture-rencontre à Chantelle dans l’Allier le 21 mars à partir de 17h30 chez Florine et Richard Jaillet, librairie « Le Livre à venir ». Précisions à venir pour le reste du programme…

 

Le dimanche 5 mai, à 16 h, POÉSIE EXPRESS SONORE & VI.SUEL.LE, lecture-performance d’une heure au LAAC à Dunkerque dans le cadre de la rétrospective consacrée à Gérard Duchêne.

 

Les 15 et 16 août, je serai au Book Bouc Fest 2024, à Fléchin pour une lecture-performance. Précisions à venir…

 

A paraître en juin 2024

 

Deux ouvrages seront réédités au format de poche dans la collection La Sente, aux éditions de La Contre Allée :

                 « D’azur et d’acier » poésie

                 « Rivière » roman

 

D’autres informations sur mon compte twitter

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jeudi 14 décembre 2023

Un poème de Bernard Esnault

Mon rêve

je feuillette mes trésors

les livres que j’ai achetés hier

au marché de la poésie de Lille

une mouette blanche survole la véranda

 

les grandes ailes en planeur

portée par le vent et la grâce

et mes livres s’envolent avec les ailes de Folon

mes livres mes amis mes copains mes potes

 

j’ai cassé ma tirelire pour acheter des livres

je brûlerais mes meubles comme Bernard Palissy

je vendrais ma chemise

me vêtirais de livres dont les feuilles en tombant

 

me rendraient tout nu à la terre

mais en attendant les livres me font vivre

me font givre me font ivre

les livres déjà pliés dans ma longue mémoire de liseur

 

les livres encore à lire jusqu’au bout de ma vie

les livres de poésie la poésie des livres

je voudrais qu’on me jette en prison

dans une prison de livres

 

et qu’on me condamne à perpétuité

une perpétuité de lectures

mon rêve

Bernard Esnault 

11 décembre 2023

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